Voilà, j’ai enfin fini La fameuse œuvre de Yasmina Khadra, Ce que le jour doit à la nuit. Je dis « enfin » car cela fait une bonne semaine que j’étais dessus, ce qui représente une durée assez longue comparé à d’habitude.
Pourquoi j’ai mis du temps à le lire? Bien tout simplement parce que j’étais dans une attente éternelle de quelque chose qui n’arrivât jamais. Je pense que j’en attendais trop. Oui, après tout ce que j’avais lu et entendu au sujet de cet œuvre, je m’attendais à quelque chose de phénoménal. Attention je ne dis pas que ce livre ne mérite pas sa réputation. Il La mérite juste pour des raisons différentes de celles que j’attendais. Je vous parlerais d’abord de ce qui m’a gêné et je finirais en beauté.
En fait, je m’attendais à des rebondissements, un dénouement, des surprises, quelque chose, n’importe quoi! et bien non…à chaque fois, je suis restée assez déçue de ce personnage qui n’ose presque jamais rien en fin de compte. Il ne se défend pas, ne prend jamais position, se fond dans la masse jusqu’à devenir « l’arabe de service » Celui qui est toléré, accepté mais Jamais réellement respecté. Sa personnalité est assez fade, je ne m’y suis pas attaché pourtant c’était pas faute d’essayer. Il y a bien un personnage que jai apprécié dans ce livre mais malheureusement il est resté en arrière plan La majorité du temps. Une romance, que j’ai trouvé excessive, gâchée pour une raison assez incohérente, presque stupide. Des malentendus qui restent à jamais incompris. Bref, vous l’aurez compris, au niveau de l’histoire principale, je n’ai pas du tout adhéré.
MAIS! Parce qu’il y a un Mais, J’avoue que l’écriture est époustouflante. On ne retrouve pas du tout l’auteur de L’Attentat que j’ai lu récemment. C’est à se demander si c’est bien la même personne Tant le style est différent. Très poétique, on se laisse bercer par ses descriptions interminables mais magnifiques. Cette œuvre est une ode à la femme, une ode à l’Algérie, en particulier La ville d’Oran. J’ai pu relever plus de citations qu’avec trois Livres réunis. L’auteur est amoureux de son pays et il nous en parle comme on parlerait de son enfant, en clamant ses qualités et en chuchotant ses faiblesses. Certes, quelques personnes vont noter sa vision un peu romancée de la révolution et du comportement des colons. Mais ça reste un beau rappel de ce qu’il s’est passé. On ne peut rester insensible à ces récits d’un passé commun, à cette souffrance mal connue, à ces batailles menées par des gens qu’on a écrasé sur leur propre terre, le malheureux sort des colonies. Car ce sera bien comment je considérerais ce livre, comme un roman historique, ou plutôt de l’histoire romancée.
Voilà je vais vous laisser rêver avec ces quelques citations choisies, certaines sont longues mais lisez les quand même, vous ne le regretterez pas!
« Quand l’Amour vous fait un enfant dans le dos, il est la preuve que vous ne le méritez pas ; la noblesse consisterait à lui rendre sa liberté – ce n’est qu’à ce prix que l’on aime vraiment. »
« Si tu veux pleurer, pleure ; si tu veux espérer, prie, mais, de grâce, ne cherche pas de coupable là où tu ne trouves pas de sens à ta douleur. »
“La postérité n’a jamais rendu l’étreinte des tombes moins dure. Elle a juste le mérite de modérer notre peur de la mort puisqu’il n’y a pas de thérapie mieux appropriée à notre inexorable finitude que l’illusion d’une belle éternité… Cependant, il en existe une qui me tient à cœur : la mémoire d’une nation éclairée. C’est la seule postérité qui me fasse rêver. ”
📌Magnifique ode à la femme:
« L’homme n’est que maladresse et méprise, erreur de calcul et fausse manœuvre, témérité inconsidérée et objet d’échec quand il croit avancer vers son destin en disqualifiant la femme… Certes, la femme n’ est pas tout, mais tout repose sur elle… Regarde autour de toi, consulte l’Histoire, attarde-toi sur la terre entière et dis-moi ce que sont les hommes sans les femmes, ce que sont leurs vœux et leurs prières quand ce ne sont pas elles qu’ils louent… Que l’on soit riche comme Crésus ou aussi pauvre que Job, opprimé ou tyran, aucun horizon ne suffirait à notre visibilité si la femme nous tournait le dos. Le coucher de soleil, le printemps, le bleu de la mer, les étoiles de la nuit, toutes ces choses que nous disons captivantes n’ont de magie que lorsqu’elles gravitent autour d’une femme, mon garçon… Car la Beauté, la vraie, l’unique, la beauté phare, la beauté absolue, c’est la femme. Le reste, tout le reste n’est qu’accessoires de charme.”
📌Magnifique ode à la ville d’Oran:
Oran ne manquait de rien, ni de charmes ni d’audace. Elle s’éclatait comme autant de feux d’artifice, faisant d’une boutade une clameur et d’une bonne cuite une liesse. Généreuse et spontanée, il n’était pas question, pour elle, de se découvrir une joie sans songer à la partager. Oran avait horreur de ce qui ne l’amusait pas. La mine défaite lèserait sa superbe, les pisse-vinaigre terniraient ses humeurs ; elle ne supportait pas qu’un nuage voilât sa bonhomie. Elle se voulait rencontre heureuse à chaque coin de rue, et kermesse sur ses esplanades, et là où portait sa voix fleurissait l’hymne à la vie. Elle faisait de la jovialité une mentalité, une règle fondamentale, la condition sans laquelle toute chose en ce monde serait un gâchis. Belle, coquette, consciente de la fascination qu’elle exerçait sur les étrangers, elle s’embourgeoisait en catimini, sans fard ni fanfare, convaincue qu’aucune bourrasque – pas même la guerre en train de l’éclabousser – ne saurait freiner son essor. Née d’un besoin de séduire, Oran, c’était d’abord le chiqué. On l’appelait la Ville américaine, et toutes les fantaisies du monde seyaient à ses états d’âme. Debout sur sa falaise, elle regardait la mer, faussement languissante, rappelant une belle captive guettant du haut de sa tour son prince charmant. Pourtant, Oran ne croyait pas trop au large, ni au prince charmant. Elle regardait la mer juste pour la tenir à distance. Le bonheur était en elle, et tout lui réussissait.”
📌L’unique moment du livre où j’ai eu du respect pour le personnage principal :
« Il y a très longtemps, monsieur Sosa, bien avant vous et votre arrière-arrière-grand-père, un homme se tenait à l’endroit où vous êtes. Lorsqu’il levait les yeux sur cette plaine, il ne pouvait s’empêcher de s’identifier à elle. Il n’y avait pas de routes ni de rails, et les lentisques et les ronces ne le dérangeaient pas. Chaque rivière, morte ou vivante, chaque bout d’ombre, chaque caillou lui renvoyaient l’image de son humilité. Cet homme était confiant. Parce qu’il était libre. Il n’avait, sur lui, qu’une flûte pour rassurer ses chèvres et un gourdin pour dissuader les chacals. Quand il s’allongeait au pied de l’arbre que voici, il lui suffisait de fermer les yeux pour s’entendre vivre. Le bout de galette et la tranche d’oignon qu’il dégustait valaient mille festins. Il avait la chance de trouver l’aisance jusque dans la frugalité. Il vivait au rythme des saisons, convaincu que c’est dans la simplicité des choses que résidait l’essence des quiétudes. C’est parce qu’il ne voulait de mal à personne qu’il se croyait à l’abri des agressions jusqu’au jour où, à l’horizon qu’il meublait de ses songes, il vit arriver le tourment. On lui confisqua sa flûte et son gourdin, ses terres et ses troupeaux, et tout ce qui lui mettait du baume à l’âme. Et aujourd’hui, on veut lui faire croire qu’il était dans les parages par hasard, et l’on s’étonne et s’insurge lorsqu’il réclame un soupçon d’égards… Je ne suis pas d’accord avec vous, monsieur. Cette terre ne vous appartient pas. Elle est le bien de ce berger d’autrefois dont le fantôme se tient juste à côté de vous et que vous refusez de voir. Puisque vous ne savez pas partager, prenez vos vergers et vos ponts, vos asphaltes et vos rails, vos villes et vos jardins, et restituez le reste à qui de droit.”
📌Point de vue intéressant des pieds-noirs :
« Si seulement on avait quitté le bled de notre propre gré, se plaint Gustave à deux doigts du coma éthylique. Mais on nous a forcés à tout abandonner et à partir en catastrophe, nos valises chargées de fantômes et de peines. On nous a dépossédés de tout, y compris de notre âme. On ne nous a rien laissé, rien de rien, pas même les yeux pour pleurer. C’était pas juste, Jonas. Tout le monde n’était pas colon, tout le monde n’avait pas une cravache contre ses bottes de seigneur ; on n’avait même pas de bottes tout court, par endroits. Nous avions nos pauvres et nos quartiers pauvres, nos laissés-pour-compte et nos gens de bonne volonté, nos petits artisans plus petits que les vôtres, et nous faisions souvent les mêmes prières. Pourquoi nous a-t-on tous mis dans un même sac ? Pourquoi nous a-t-on fait porter le chapeau d’une poignée de féodaux ? Pourquoi nous a-t-on fait croire que nous étions étrangers sur la terre qui a vu naître nos pères, nos grands-pères, et nos arrière-arrière-grands-pères, que nous étions les usurpateurs d’un pays que nous avons construit de nos mains et irrigué de notre sueur et de notre sang ?… Tant qu’on n’aura pas la réponse, la blessure ne cicatrisera pas. »